Stockage et manutention : lever les incertitudes pour avancer

Confrontés à l’attentisme qui paralyse l’économie, les acteurs du stockage et de la manutention souhaitent que les affaires repartent au plus vite.
Et imaginent de nouvelles solutions pour épauler les industriels.
Vision…
Créée à Achern en Allemagne il y a 180 ans, la société Kasto s’est développée dans le monde entier, notamment grâce à l’ingéniosité de ses solutions complètes de stockage pour l’industrie. Originalité : alors que les négociants d’acier lui permettent de réaliser 90 % de son chiffre d’affaires sur le marché allemand contre seulement 10 % dans le secteur de la menuiserie, ce sont les menuisiers qui génèrent pour 90 % le chiffre d’affaires sur le marché français. « Les solutions pour la menuiserie se sont développées chez Kasto sous l’impulsion du marché français, notre plus grand demandeur », indique Rigobert Ghomsi, ingénieur technico-commercial Kasto.
Pour Kasto, 2024 a été une année moyenne en France avec un CA annuel pour la partie menuiserie situé entre 7 et 8 M€. Toutefois, les projets de stockage s’inscrivent sur le long terme : il s’écoule un an, voire un an et demi, entre la signature de la commande client et la mise en route des machines. Le bilan 2024 s’appuie donc sur les prises de commandes bouclées en 2023.
Commandes fructueuses pour Kasto en 2024
« Côté commandes, 2024 a été un bon cru : nous avons signé 5 gros projets, de moyen et haut de gamme, chiffrés 12 M€. Nous devrions les boucler pour décembre 2025 », se réjouit Rigobert Ghomsi.
C’est au Mans (72) que Kasto a signé sa plus grosse affaire l’an dernier aux côtés de Multilaque, société spécialiste du laquage : un transstockeur en nids d’abeilles de 5 000 cassettes est actuellement en cours de montage chez Kasto à Achern. Il va y subir des tests avant d’être démonté puis transporté pour être installé sur le site de l'entreprise mancelle.
Plus gros client de Kasto dans le domaine de la menuiserie en France, le Groupe Liébot va procéder en août prochain à l’extension du transstockeur en nids d’abeilles de son usine K-Line City pour le porter de 2 000 à 2 700 cases et à 25 sorties, dont 10 dédiées aux centres d’usinage afin de permettre des approvisionnements rapides.
Reste que le taux d'équipement français de transstockeurs est aujourd’hui de l’ordre de 66 %. « Nous allons un jour parvenir à la saturation du marché. Le nombre de projets va décroître par rapport aux 5 à 10 dernières années », anticipe Rigobert Ghomsi.
Porter des charges en évitant les accidents
Localisée à Couzeix (87), Larenn est une PME de 20 salariés qui construit des machines spécifiques pour les ateliers de menuiserie. Elle a réalisé un CA de 2,1 M€ en 2024, en hausse de +6 % versus 2023. Une performance due au doublement de la force de vente allié à un très fort engagement sur le terrain : l’an dernier, Larenn a en effet réalisé deux fois plus de devis qu’en 2023. « Mais nous nous sommes heurtés à l’attentisme qui a paralysé les investissements en 2024. Sur le seul secteur de la manutention, nous enregistrons un repli de -20 % », analyse Didier Moiroud, dirigeant de Larenn.
Sur le papier, 2024 s'annonçait pourtant meilleure que 2023. En avril dernier, l'Assurance Maladie a validé des aides aux entreprises pour les inciter à se doter de matériel de levage, notamment des potences et des manipulateurs. « Ce dispositif, relayé par les Carsat et la Cramif pour la région parisienne, est intéressant puisqu’il permet parfois de financer jusqu'à 70 % d'un matériel », souligne Didier Moiroud. Mais les belles subventions ont elles aussi été contrecarrées par l’attentisme…
© MZR - MZR met au point des solutions de manutention spécifiques, à l’image de ce gerbeur électrique transformé pour manipuler les portes de garage
Reste que les outils de levage – plus particulièrement ceux qui sont ergonomiques et embarquent le plus possible d’automatisations – sont régulièrement demandés par les entreprises. « La manutention est toujours un sujet un peu particulier parce qu’elle est liée à l’accidentologie et au port de charges. Et ce sont donc les premiers investissements dans les entreprises. Quand vous manipulez des charges de 250 kg, vous devez disposer du moyen de les soulever. La manutention est donc toujours d’actualité », affirme Jean-Marc Boisson, ingénieur technico-commercial chez MZR, PME vendéenne réputée pour ses solutions de stockage et de manutention françaises.
Larenn propose un préhenseur pour saisir les produits poreux
Durant 30 ans, les entreprises de menuiserie se sont équipées de palonniers permettant de saisir des éléments parfaitement lisses, comme les vitres. Une tendance toujours active : Larenn assure régulièrement la maintenance de ce type de matériel. Elle installe aussi de nouvelles potences dans toute la France et même en Espagne, à Barcelone.
© Larenn - D.R. - Un peu plus cher qu'un palonnier classique avec sa technologie plus élaborée, le préhenseur à tube de Larenn permet de déplacer les matériaux poreux, comme le bois brut
Mais aujourd’hui, les clients menuisiers veulent pouvoir déplacer aussi des planches brutes, du lamellé collé ou encore des panneaux de MDF ou d’OSB. Larenn commercialise donc des préhenseurs adaptés à la saisie des produits poreux. « Ce palonnier comporte un tube de vide revêtu d’une mousse en fibres de carbone. Couplé à une turbine, le tube aspire les différentes aspérités d’un matériau et en permet le déplacement. Nous avons installé ce dispositif chez le fabricant de fenêtres bois Atulam : il sert au transport de grandes planches de bois brut », explique Didier Moiroud. Manipulé par une seule personne, le préhenseur à tube permet de lever des éléments pesant jusqu'à 240 kg.
© Larenn - D.R. - Larenn a développé un chariot en structure acier pourvu de logements séparés et protégés afin de transporter les composants de 12 fenêtres (bâtis, ouvrants et parcloses) sans qu’ils s’abiment
Les outils se mettent à la hauteur des hommes
Soucieux d’épargner la santé des opérateurs, les industriels cherchent à s'équiper de tables qui permettent d'assembler les portes et les fenêtres, puis de les relever ensuite à la verticale. Tables et presses sont de plus en plus équipées avec des dispositifs monte-et-baisse : la table se met à la hauteur de l’homme pour qu’il puisse travailler plus confortablement. « 72 % des équipements d'assemblage de portes et de fenêtres que nous avons livrés en 2024 comportaient une fonction monte-et-baisse. Selon moi, cette tendance va perdurer en 2025 », pronostique Didier Moiroud.
Ce type de dispositif de TMB (table monte-et-baisse) est proposé depuis de nombreuses années par MZR. Mais la PME vendéenne va encore plus loin avec Omni’lev, un chariot motorisé omnidirectionnel radiocommandé pour le déplacement de charges lourdes de grandes dimensions. Destiné à tous les postes de travail, Omni’lev propose aux opérateurs une mobilité électrique et des degrés de liberté un peu plus importants en termes d’assistance au mouvement.
« Il s’agit ici de plateformes omnidirectionnelles permettant d’effectuer quasiment tous les mouvements souhaités. Elles sont munies de roues qui sont guidées dans toutes les directions. Les applications pour la menuiserie restent encore à définir », résume Jean-Marc Boisson.
© MZR - Breveté par MZR, le Poly’lev reste un outil spécifique pour faire face à des besoins de manutention sur des postes de menuiserie dans l’atelier
En 2024, MZR a innové en concevant de nouveaux postes de travail et en complétant sa gamme de machines spécifiques à la fabrication minimisée. Elle a également pu mener à terme plusieurs grands projets de lignes complètes d’assemblage. « Nous intégrons aussi des fonctionnalités de postes de travail dans les lignes de stockage et de transfert, que ce soit pour le bois, pour le PVC ou pour l’aluminium », indique Jean-Marc Boisson.
Même les produits d’entrée de gamme peuvent aboutir à des évolutions inattendues, à l’image de cette petite table à ventouses proposée par Larenn sur laquelle on peut faire reposer un vitrage. Elle permet d’assembler une fenêtre, l’opérateur la faisant tourner pour poser commodément un joint périphérique.
© Larenn - D.R. - La petite table à ventouses AL90 proposée par Larenn permet d’assembler une fenêtre. Une nouvelle version monte-et-baisse, motorisée et dotée d’une vitesse de rotation contrôlée en pose de joint sera prête au premier trimestre 2025
« Cette table d'assemblage basique vaut moins de 5 000 €. Mais pour la première fois, fin 2024, j’ai reçu des demandes pour qu'elle soit aussi monte-et-baisse. Nous allons également la motoriser et la doter d’une vitesse de rotation contrôlée en pose de joint. D’un premier prix, nous évoluons vers un modèle avec des options : cette nouveauté sera prête au premier trimestre 2025 », se félicite Didier Moiroud.
C’est la preuve que les entreprises peuvent s’intéresser à un produit de base, mais qu’elles sont malgré tout en recherche d’options leur apportant ergonomie, régularité et qualité.
Le "retrofit" a le vent en poupe
En 2025, les prises de commandes de Kasto ralentissent. Pour l’heure, un transstockeur en nids d’abeilles de 3 000 emplacements et pourvu d’un grand nombre d’automatismes est en cours de négociation pour un client : c’est le plus gros dossier programmé pour l’année. « Deux ou trois autres pourraient suivre, mais ce sont les seules perspectives pour la menuiserie actuellement. Nous pourrions être en souffrance en 2026, sauf si le marché repart au deuxième semestre 2025. Et il peut repartir vite… », espère Rigobert Ghomsi.
Le renouvellement du matériel offre-t-il des perspectives économiques alléchantes ? Pas vraiment si on l’entend dans le sens de remplacer l’ancien matériel, prévu pour durer 30 ans, par un neuf. La tendance est plutôt au "retrofit" : « Les industriels font changer la partie mécanique de leur système de stockage (rails de roulement, chaînes…) et remplacent toutes les pièces électriques sensibles. Ils optent pour des commandes électriques Siemens de dernière génération, et renouvellent aussi leur logiciel de gestion de stockage pour adopter notre solution Kastologic », évoque Rigobert Ghomsi.
À tailles égales, le système neuf coûte près de 5 M€ contre 1,5 M€ en version "retrofit" où le système rénové va fonctionner encore durant 10 ans, comme neuf. L’économie est réelle. Prendre soin du matériel paie également : remplies seulement à la moitié de leur capacité, les cassettes des transstockeurs peuvent tenir 30 ans sans casse.
KeM.Tech KSF Europe dévoile un nouveau lève-stores
© KeM.Tech KSF Europe
Conçue par l’équipe technique suisse de KeM.Tech KSF Europe, la version presque définitive d’un nouveau lève-stores est finalisée. Ce prototype est actuellement exposé au salon Casei à Bergame, en Italie. « Notre nouveau lève-stores permettra de répondre au montage de stores sur les balcons d'immeubles à étages sans effort physique », indique Dominique Bossu, président de KeM.Tech KSF Europe. La machine est pourvue d’un treuil électrique monophasé. À partir du sol, elle peut hisser une charge pesant jusqu'à 150 kg sur une hauteur de 50 m. Une fois commercialisée, elle secondera efficacement les poseurs qui, aujourd’hui, sont contraints de lever les charges vers les balcons à la seule force de leurs bras.
Vers des solutions de tri ultrarapides
Pour contrebalancer l’amoindrissement de chiffre d'affaires sur les systèmes de stockage, Kasto peut également développer d'autres solutions d’automatisation.
Chez Multilaque, le fabricant allemand va installer une station de tri avec des chargements de cassettes ultrarapides grâce à de mini transstockeurs. Sa mise en place s’étirera d’avril à décembre 2025.
« Pour certains clients, nous pouvons aussi automatiser les opérations de tri des profilés lorsqu’ils sortent de la barretteuse pour constituer directement des lots de production sans aucune intervention humaine », suggère Rigobert Ghomsi.
© MZR - « Les stockeurs-trieurs associés à des postes de travail sont de plus en plus demandés par les entreprises industrielles », constate Jean-Marc Boisson, ingénieur technico-commercial chez MZR
Pour sa part, MZR imagine des lignes de convoyage pour la manutention à plat ou la manutention verticale en ligne. « Les stockeurs-trieurs associés à des postes de travail sont de plus en plus sollicités par les entreprises industrielles. S’il est incontournable de disposer d’une solution de stockage en amont de la production industrielle, elle devient très rare sur l’aval de la production. La tendance actuelle consiste plutôt à favoriser la transitique pour que le montage du produit commandé par le client s’effectue le plus rapidement possible entre le transstockeur et la palette prête à être expédiée », constate Jean-Marc Boisson.
© VMA/A.B. - L’expert et concepteur d’équipements ergonomiques MZR, lequel a inauguré en octobre dernier 2 000 m² de bâtiment supplémentaires, conçoit et fabrique des solutions ergonomiques sur mesure depuis 18 ans, équipant, scénarisant et sécurisant les unités de production de toutes tailles de la menuiserie
Cependant, la production en "juste à temps" est difficile à tenir en menuiserie car il faut regrouper les lots commandés par les clients avant de les transporter. « Les zones d’expédition sont souvent encombrées, en moyenne durant une semaine, par des commandes de fenêtres et de portes en attente : il y a des mètres carrés au sol à récupérer dans les ateliers », constate Rigobert Ghomsi.
Nouvelle piste de travail, le développement de l’emmagasinage vertical est validé chez Kasto pour les trois prochaines années. Il s’agit de concevoir des solutions pour emmagasiner verticalement les menuiseries prêtes à livrer. Pour l’heure, les solutions adaptées à la menuiserie ne sont pas encore là. Mais inspirées par d’autres secteurs industriels, elles sont attendues pour 2028 ou 2029.
« Nous ne faisons pas de prototype standard : ce sont les projets concrets des clients sur le terrain qui permettent à notre bureau d’études intégré de mettre en application nos idées et de les affiner pour correspondre aux attentes », précise l’ingénieur technico-commercial Kasto.
Syam : un point d’ancrage pour les menuisiers poseurs
Des solutions existent aussi pour les poseurs de menuiseries. Appartenant au groupe Frénéhard et Michaux, Syam est une TPE de 10 personnes installée à Brignais (69), près de Lyon. Elle commercialise dans toute la France mais également à travers 35 pays dans le monde un Système d’ancrage mobile (SYAM), inventé en 2007 par Xavier Julliard et breveté mondialement, pour sécuriser tous les corps de métier travaillant au bord du vide : métalliers, storistes ou poseurs de menuiseries.
« Syam est un équipement de protection individuel de catégorie 3. Les menuisiers poseurs peuvent l’installer en quelques minutes dans un logement lorsqu’ils doivent changer des fenêtres. Syam se déploie sans abîmer le sol, les murs et le plafond tout en permettant à une ou deux personnes d’évoluer en hauteur en parfaite sécurité », résume Erwan Thomas, directeur opérationnel de Syam.
© VMA/J.L.C. - Sécurisé par le dispositif Syam, le menuisier poseur peut rester debout sur l'appui d’une fenêtre lorsqu'il pose ou dépose les menuiseries. Syam le préserve de la perte d’équilibre pouvant entraîner la chute accidentelle, notamment lorsque la météo est mauvaise
Tous les types d’entreprises recourent à ce dispositif : de l’artisan seul qui pose ses fenêtres en passant par les PME de menuiserie disposant d’une vingtaine de camions et jusqu’aux réseaux importants de franchise nationaux.
Si le dispositif Syam couplé au Syam+SP peut très bien servir aux cordistes ou aux sapeurs-pompiers ayant besoin d’évoluer en sécurité au-dessus du vide le long d’une façade, il n’est pas du tout utilisé ainsi par les menuisiers. « Les poseurs ont vocation à rester debout, les deux pieds reposant sur l'appui de fenêtre, tout en étant sécurisés lorsqu'ils posent ou déposent les menuiseries. Syam les garantit de la perte d’équilibre pouvant entraîner la chute accidentelle, notamment lorsque la météo est mauvaise… », rappelle Erwan Thomas.
Avant de travailler avec le Syam, il est obligatoire de suivre une formation d’une demi-journée afin de bien en maîtriser l’usage. Coût : 127 € par personne. Dérisoire pour une invention qui peut sauver des vies. En matière de stockage et de manutention, une grande diversité de solutions nouvelles existent. Il reste à inventer la machine à lever le doute et l’incertitude pour rétablir la confiance économique et enfin avancer.
Photo ouverture © Kasto - D.R. - Le fabricant allemand Kasto imagine des systèmes de stockage pour les menuisiers français, notamment des transstockeurs en nids d’abeilles comportant entre 1 000 et 5 000 emplacements
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