Logistique et stockage : la modularité comme atout pour les ateliers
Face à la crise de la construction immobilière, les fabricants de menuiseries réduisent leurs dépenses industrielles mais continuent d’investir pour gagner en productivité. Vision d’ensemble.
En 2024, les chefs d’entreprise doivent composer avec des lois environnementales de plus en plus contraignantes. Plutôt que de construire de nouveaux bâtiments, ils optimisent la place dont ils disposent déjà en intégrant des solutions de stockage automatisées à l’intérieur des ateliers.
« Chez Kasto, nous parlons d’utiliser la troisième dimension. Nous faisons monter le système de stockage le plus haut possible tout en économisant la surface au sol », explique Rigobert Ghomsi, commercial Kasto des systèmes de stockage pour tous les pays francophones.
© MZR - Depuis ses nouveaux locaux de Landevieille (85), la société MZR imagine des solutions transitiques performantes comme l’illustre cette navette logistique à déplacement motorisé
Localisée à Landevieille (85), la société MZR travaille pour sa part à optimiser les zones occupées par les postes de travail, ces derniers prenant de plus en plus de place pour s’adapter à la taille des produits à assembler. La parade imaginée par la société vendéenne ? Concevoir des tables de montage de cadres dormants étirables sur les côtés. « Au plus court, le poste fait moins d’un mètre de large. Mais une fois étiré, il permet de traiter des menuiseries jusqu’à 7 mètres de long. Les machines s’adaptent et prennent ainsi moins de place dans l’atelier », remarque Jean-Marc Boisson, technico-commercial MZR.
Le transstockeur devient l’allié des PME
À l’origine, la société Tecauma, basée aux Essarts (85) destinait son transstockeur de produits longs de la gamme Tec’Up aux gros industriels. « Mais nous nous apercevons que les PME s’équipent aussi », indique Gervais Gendre, ingénieur technico-commercial et chef de marché Menuiserie chez Tecauma.
© Tecauma - L’entreprise vendéenne Tecauma imagine des solutions de transitique, à l’image de cette navette automatique pour le stockage vertical de menuiseries qui permet de gagner de la place dans l’atelier
Pour faire face à la multiplication des références de profilés, un système de stockage dynamique et informatisé aide considérablement les industriels à mieux stocker la matière. Une tour de stockage avec deux sorties et une cinquantaine d’emplacements coûte environ 250 000€.
Mais la France est-elle en avance ou en retard sur les autres pays européens en matière de logistique et de stockage ? « Je pense que nous sommes plutôt bien placés. Lorsque nous avons créé notre premier transstockeur en 2007, une telle machine apportait un réel confort de travail. Mais la demande a mis du temps à émerger. Elle a beaucoup évolué depuis 17 ans. Nous avons actuellement 35 transstockeurs en production. Dès qu’elles décident une extension de leur usine, les entreprises – grandes ou moyennes – s’équipent », pointe Gervais Gendre.
De son côté, Rigobert Ghomsi estime : « Dans l’univers de la menuiserie, la France est nettement devant l’Allemagne en termes d’automatisation. Selon moi, plus de 60 % des fabricants de menuiseries sont déjà équipés en tant que tel, à l’image des grands groupes. Il reste à peu près 40 % des acteurs à convaincre ».
Améliorer le flux transitique pour maximiser la productivité
Responsable commercial Ryko France, Alexandre Giraud remarque : « La tendance est au renouvellement des centres d’usinage pour augmenter les cadences et accroître la productivité. Les machines de soudage sans ébavurage ont le vent en poupe. Et nos clients veulent pouvoir réaliser des usinages spécifiques, intégrer de nouveaux process ou recourir au stockage automatisé. La transitique prend le dessus ».
Aujourd’hui, lorsqu’une entreprise de menuiserie acquiert un système automatisé, elle recherche avant tout l’amélioration des process de travail. « Le stockage compte pour 25 % dans la prise de décision. Alors que l’amélioration du flux de production pèse pour 75 %. C’est là que s’opère le gain de productivité. Nous axons notre expertise sur l’approvisionnement des centres d’usinage, des barretteuses (les machines qui permettent de créer les profilés qu’on utilise dans la menuiserie) ou bien des cabines de laquage », souligne Rigobert Ghomsi.
© Tecauma - Le Tec’Up H8R de Tecauma permet de stocker les profils débités en sortie d’usinage dans des luges pour renforcer l’ordonnancement de fabrication
Tecauma vient de développer un nouveau transstockeur, nommé Tec’Up H8R, qui culmine à 8 m et qui stocke les cadres dans des luges capables d’effectuer une rotation à 180 ° (d’où le R accolé au nom). « Stocker les profils débités en sortie d’usinage dans des luges renforce l’ordonnancement de fabrication. En fait, nous complétons le cadre au fur et à mesure que les profils arrivent. Et lorsqu’il est complet, nous le convoyons devant la ligne de soudage, de sertissage, de cadrage, d’assemblage… selon la typologie du produit. Actuellement, nous livrons ce produit auquel nous croyons : nous recevons beaucoup de demandes », affirme Gervais Gendre.
En fonction du nombre d’emplacements et de la cadence de production que l’industriel souhaite atteindre, le prix de la Tec’Up H8R est de l’ordre de 1 à 1,5 M€. « Ce processus s’adresse à des entreprises ayant un volume de fabrication assez important. Et il faut prévoir la place pour intégrer la machine dans le flux de production. Entre les centres d’usinage et les lignes de cadrage, une place est souvent réservée pour stocker les chariots en attente. C’est à cet emplacement que nous essayons d’intégrer notre process automatisé. En fait, il n’y a aucun opérateur et aucun chariot entre la sortie du centre d’usinage et la zone de cadrage. Tout est géré de façon informatique et automatique, en liaison avec l’ERP de notre client » déroule Gervais Gendre.
La "transitique à valeur ajoutée" se renforce
© MZR - Intégrées dans la transitique, les tables basculantes motorisées de MZR peuvent desservir un stockeur fixe
Une tendance de fond se dessine : la "transitique à valeur ajoutée". L’élément de menuiserie n’est plus simplement acheminé d’un poste A à un poste B. En chemin, il est retourné pour permettre la pose de quincaillerie ou d’accessoires. MZR fabrique des postes dédiés à la fois au travail et à la transitique. « Ils offrent une modularité maximale, sans intervention humaine, pour économiser la force physique des opérateurs. Regrouper montage et transitique permet de gagner de la place dans l’atelier », assure Jean-Marc Boisson.
© Kasto - Les systèmes de stockage étant au cœur du process de fabrication des clients menuisiers industriels, le SAV est un critère fondamental. Kasto met des outils en place pour éviter au maximum l’arrêt du système. Le télédiagnostic permet d’intervenir à distance pour résoudre très rapidement les pannes. Ici, le transstockeur équipant l’atelier de Véranda Rideau à La Roche-sur-Yon (85)
Qu’il soit petit ou grand, chaque système de stockage automatisé devient un outil de production. « Chez Kasto, nous ne faisons pas que du stockage conventionnel. Nous intervenons sur le flux de matière dès l’emmagasinage. Nous contrôlons la qualité des barres reçues, validons les profilés jusqu’au triage. Nous optimisons l’alimentation des barretteuses. En sortie de barretteuse, nous faisons en sorte que les profilés reviennent en lots de fabrication directement sur les centres d’usinage. Nous optimisons les flux de production chez les clients. Et nous nous adaptons en fonction de chaque process de fabrication », souligne Arsène Gardan, commercial Kasto France.
Mais que peut-on retirer de tels investissements ? « Si vous avez une barretteuse mais qu’elle n’est pas pourvue d’un système de stockage automatisé pour l’approvisionner, vous la faites fonctionner à moins de 40 % de sa capacité », prévient Arsène Gardan.
© Ryko - En 2013, Ryko a révolutionné la menuiserie PVC en dévoilant la soudeuse sans ébavurage SL4FF, un projet cher au cœur d’Alexandre Giraud, responsable commercial Ryko France. Depuis, 100 machines ont été installées dans l’Hexagone
Entre le fait de s’équiper d’un système de stockage ou pas, les gains de productivité peuvent même dépasser les 50 % estime Rigobert Ghomsi. « En effet, si le client travaille encore de manière conventionnelle, il perd énormément de temps à dépiler la matière pour trouver la référence qu’il cherche. Une fois la barre trouvée, il lui faut la transporter au pied des machines. Il perd encore du temps. Mais lorsque tout est couplé à un système automatisé, l’opérateur presse seulement une touche et reçoit exactement ce dont il a besoin au pied de sa machine ».
MZR invente une solution logistique modulable
Le fabricant vendéen de machines MZR innove sans cesse côté équipement, mais vient aussi de concevoir dernièrement un configurateur modulable de stockeur de menuiseries, totalement inédit pour son secteur. À l’image d’une brique Lego®, celui-ci est à la fois démontable, reconfigurable et réutilisable. « Nous en avons eu l’idée en constatant que les équipements de logistique et de stockage sont souvent figés. Les fabricants de menuiseries ont du mal à les adapter aux évolutions de leurs gammes en termes de largeurs, d’épaisseurs de seuils ou de tapées… Nous leur proposons donc des équipements capables de suivre les futures évolutions de leurs menuiseries. Ainsi, ils pourront conserver une partie de leur matériel : plus besoin de tout réinvestir », explique Jean-Marc Boisson.
MZR va proposer à certains de ses clients de tester ses prototypes en atelier. Cette solution de logistique configurable et modulable sera progressivement étendue aux postes de montage et aux tables basculantes. MZR a pour but de proposer des solutions intégrées à ses clients. « Quelqu’un qui n’est pas spécialiste ou qui hésite dans son besoin aura accès à des offres un peu plus standardisées et plus packagées », révèle Jean-Marc Boisson.
Des flux de fabrication plus directs
On l’a vu : éviter de réaliser de coûteuses extensions de bâtiments devient une tendance lourde. Mais cela a aussi des conséquences dans les ateliers. De la coupe des profilés jusqu’à la palette d’expédition, les industriels organisent des flux beaucoup plus directs et sans espaces de stockage, assimilés à des espaces perdus. Les chariots sont-ils donc voués à disparaître ? « Au contraire, ils risquent de revenir parce qu’ils permettent de créer des espaces de stockage modulaires dans les ateliers et de leur rendre une certaine souplesse », analyse Jean-Marc Boisson.
L’illustration en a été donnée le 14 novembre dernier lors de l’inauguration de la nouvelle usine City de K.Line aux Herbiers (85). Lors de la visite, nous avions découvert une production en ligne, très équilibrée de l’amont jusqu’à la zone d’emballage et presque dénuée de stocks tampons. Les rares stocks présents étant placés sur des chariots pour pouvoir moduler l’atelier à la demande.
© Comall France - Les chariots constituent le domaine d’activité principal de Comall France qui propose de grandes civières mobiles pour transporter les longueurs de profils bruts
« Les chariots reviennent aussi car ils permettent d’emporter des menuiseries de tailles complètement différentes d’un point à un autre de l’atelier de fabrication », ajoute Catherine Crestey, gérante de Comall France, société basée à Ancenis (44) qui a fait du chariot sa spécialité.
« Nos chariots sont conçus pour soulager les opérateurs, diminuer Les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS), les risques de chute et les coups portés aux menuiseries – qu’il s’agisse de profils débités ou bien de menuiseries en cours de fabrication », énumère Catherine Crestey.
Certains industriels, bloqués par l’espace, sont à la recherche de chariots sur mesure. « Parfois, l’on nous demande des chariots spécifiques pour correspondre à l’activité, à la dimension et aux particularités d’utilisation du client, mais cela représente environ 20 % des demandes. Les chariots classiques en constituent encore 80 % », souligne la gérante de Comall France qui n’a pas encore constaté de fléchissement d’activité en 2024.
© Ryko - Expert en transitique (ci-dessous) Ryko a imaginé le convoyeur à rouleaux vertical, (ci-dessus) motorisé (rails, chenilles) de type RVDF est orientable à 360° et assure le transport d’éléments de fenêtres. Il permet également de créer un stockage tampon entre différents postes de travail ou machines
Attendre pour investir : un mauvais calcul
Totalisant 45 années d’expérience dans la vente des machines industrielles pour la menuiserie, Alexandre Giraud ressent actuellement une hésitation sur l’investissement. Elle touche énormément de dossiers. « Deux cas de figure se présentent : ceux qui s’interrogent mais qui ont quand même besoin d’investir. Et ceux qui choisissent d’investir quand ils ont un peu moins de production, ce qui leur permet de libérer du volume dans l’atelier pour réinstaller de nouvelles machines afin d’être prêts lorsque le marché va redémarrer ».
À l’avantage d’éviter ainsi de trop perturber sa production s’y ajoute un second : « Lors d’une année charnière comme 2024, il y a moins de demande et les prix tirent vers le bas. L’investissement dans les machines se fait à un prix beaucoup plus attractif », relève Rigobert Ghomsi chez Kasto.
Mais est-il stratégiquement intéressant d’attendre avant de s’équiper ? Certainement pas sur le plan des délais. Chez Kasto, une petite tour de stockage d’une quarantaine d’emplacements nécessite 6 mois de fabrication. Il faut 12 mois pour un système de 800 emplacements, et même jusqu’à 24 mois pour produire puis procéder au démarrage d’un système offrant de 1 300 à 1 500 cases.
Pour sa part, Alexandre Giraud fait ses calculs : « Les commandes qui arrivent maintenant seront livrées durant le premier trimestre 2025. Et peut-être même un peu plus tard. Un client pressé vient de me dire qu’il prendra sa décision en juin prochain. Conséquence : ses machines seront installées au mieux en juin 2025 ». Un temps précieux perdu pour la productivité.
« Au cours des prochains mois, "modularité" sera le maître mot pour combiner les solutions de transitique et de stockage », prophétise Jean-Marc Boisson. Certitude : les acteurs économiques qui auront réussi l’optimisation de leur production partiront avec un avantage considérable sur leurs concurrents lorsque sonnera l’heure de la reprise.
Photo ouverture © V-Rannou-Anaer - En 2023, Kasto France a livré 5 systèmes de taille moyenne comportant de 300 à 3 500 emplacements. Un seul transstockeur de 5 000 cases peut générer un chiffre d’affaires de 8 à 10 M€ ; Kasto en vend un tous les cinq ans environ