Solutions de stockage et transitique : les ateliers se réorganisent
Entre la nécessité de prendre soin de la santé des opérateurs et celle d’optimiser leur flux de production, les entreprises de menuiserie et de miroiterie investissent.
L’automatisation et l’introduction de la robotique poursuivent leur marche en avant. Mais les moyens diffèrent d’un acteur à l’autre. Focus sur un secteur en mutation…
‘‘ Le poids des maux libérés par l’automatisation ’’
Qu’attendent aujourd’hui les industriels de la menuiserie et de la miroiterie en termes de solutions de stockage et de transitique, cette logistique interne à l’entreprise ? Basé à Couzeix (87) près de Limoges, Didier Moiroud, directeur de la société Larenn, campe le décor : « nous sommes sur un marché plutôt dynamique. Les entreprises nous contactent et souhaitent poursuivre leur effort de productivité et limiter les maladies professionnelles, en particulier les troubles musculo-squelettiques des opérateurs. Nous leur apportons des solutions d’aide à la manutention en faisant en sorte que les pièces arrivent sur le poste de travail à la bonne hauteur. Nos systèmes permettent de porter les charges tout en épargnant les hommes ».
© Larenn - Les entreprises de menuiserie industrielle contactent Larenn pour poursuivre leur effort de productivité et limiter les maladies professionnelles, en particulier les TMS (Troubles Musculo-Squelettiques) des opérateurs
Un constat partagé par Jean-Marc Boisson, technico-commercial chez le concepteur et fabricant de machines vendéen MZR : « nos clients veulent limiter drastiquement le nombre de manutentions effectuées sur les produits et aussi réduire les temps de manutention, par essence improductifs ».
Directeur commercial chez Ryko France, Alexandre Giraud considère que la transitique est d’abord employée pour sécuriser les postes de travail et simplifier la manutention afin d’éviter aux opérateurs de porter des menuiseries lourdes.
© MZR - Au contraire des équipementiers diffusant des produits de mécatronique standards, le constructeur vendéen MZR a opté pour les solutions sur mesure, ce qui fait sa force. (De g. à dr.) Navette MZR à déplacement motorisée logistique ; table de montage basculante, monte et baisse (TMB) conçue et réalisée par MZR, intégrée à la transitique
Gérante de Comall France, entreprise localisée à Ancenis (44), Catherine Crestey confirme cette tendance : « nous recevons de nombreuses demandes pour les profils de menuiseries débités qui sont en cours d’acheminement d’un poste à un autre. Il s’agit d’éviter de porter les profilés et de ne pas les abîmer au cours des transferts. Les industriels ont le souci de la qualité et de la rapidité des flux, tout en évitant la fatigue des opérateurs ».
Il est vrai que la législation, de plus en plus contraignante sur la sécurité au travail, les y encourage, comme le confirme Alexandre Giraud : « la manutention a toujours été le parent pauvre de la menuiserie française. Actuellement, les clients ont plutôt tendance à investir pour un certain nombre de postes parce que les normes de sécurité se sont compliquées. Mais certains industriels essaient d’investir le strict minimum, au moins sur des postes dédiés. Par exemple, une cadreuse avec de l’engondage - ouvrant sur dormant - coûte environ 25 000€. Mais tout le monde n’investit pas systématiquement dans ces équipements ».
Chez Hegla, spécialiste des solutions de stockage et d’équipements haute technologie destinés aux transformateurs verriers, Daniel Kolopp , directeur Hegla France, jongle avec le temps : « le marché français est en forte croissance depuis 2 ans. Mais nous avons beaucoup de mal à livrer nos clients en raison de la pénurie de pièces. Conséquence : nous subissons des décalages de 6 mois à 1 an sur le plan des délais de livraison, ce qui est colossal. Reconsidérer les flux d’une entreprise est une opération lourde : elle peut se faire uniquement lors des congés d’été. Nous ne disposons donc que d’une fenêtre de trois semaines pour y parvenir. Et si nous ne pouvons pas l’utiliser, tout est décalé d’un an. Je ne prends jamais de vacances en juillet-août car j’ai 8 installations en cours en ce moment, dont deux que nous avons décalées d’une année ».
Organiser les flux de production pour gagner en compétitivité
Alexandre Giraud (Ryko France) constate également que les industriels de la menuiserie souhaitent automatiser davantage leur production : « ils aspirent à manutentionner les cadres au maximum et trient les pièces pour une meilleure organisation des flux. Ils achètent des containers, semi-automatiques ou automatiques, en fonction des quantités de menuiseries à produire par jour ».
© Comall - Basée à Ancenis (44), la société Comall France reçoit les demandes des clients et les répercute auprès de Comall International, dont le siège est en Italie. Ce dispositif permet l’élaboration de solutions de transitique sur mesure. Ci-dessus, le dispositif de soulèvement des barres
Pour Jean-Marc Boisson, l’une des solutions pour gagner en productivité consiste effectivement à coordonner les flux à l’intérieur des ateliers et à mettre en ligne les process d’assemblage et de fabrication. « Une transitique soignée est la clé pour y parvenir », assure-t-il. Selon Catherine Crestey (Comall France), cela peut se traduire par la mise en place de systèmes de convoyage à la verticale, de tables basculantes qui permettent de faire passer une menuiserie d’une position verticale à une position horizontale et vice-versa pour éviter que les opérateurs soient contraints par les charges. Ils peuvent ensuite repositionner les vitrages à la verticale pour les faire glisser sur des lignes de convoyage. « Les industriels ont inscrit la transitique dans leur projet d’industrialisation : c’est un point central », constate-t-elle.
Et le phénomène va s’amplifier, si l’on en croit Daniel Kolopp (Hegla) : « nos clients attendent beaucoup de l’automatisation. Ils ont toujours plus de références en stockage. Et avec la volonté des pouvoirs publics de décarboner les matériaux de construction, cela va être pire. Il y aura un surcroît de demandes de manutention et d’automatisation complète : du stock jusqu’au camion qui emporte la marchandise à livrer. Pour nos clients, le verre ne doit plus entrer en contact avec un palonnier à ventouses, ni la moindre balancelle ! ».
L’automatisation : une tendance qui s’amplifie
Quand le phénomène de l’automatisation récurrente est-il apparu ? « Avant la pandémie de Covid 19 », affirment d’un commun accord Catherine Crestey (Comall France) et Alexandre Giraud (Ryko), lequel détaille : « certains menuisiers ont agrandi leurs usines, à l’image d’Atlantem ou d’AMCC, et investi dans les bâtiments pour pouvoir recevoir de nouveaux équipements aux côtés desquels est venue se greffer la manutention en parallèle, au fur et à mesure des ressources dédiées au projet ».
Catherine Crestey remarque : « dans la mesure où les clients font construire un bâtiment, ils intègrent tout de suite l’automatisation de bout en bout de la ligne de production. Mais avec une implantation de longue date, c’est parfois un peu plus compliqué : nous recevons moins de demandes sur ce thème ».
Les tops 3 des produits diffusés auprès des clients
Le top 3 de Comall :
- Les chariots de profils débités qui prennent place entre le débit et le montage
- Les chariots de menuiserie finie
- Les tables de montage à bascule qui évitent la fatigue aux opérateurs
Le top 3 de Ryko :
- Les cadreuses pour le transfert de cadres
- Les équipements périphériques de machines : se préparer à l’automatisme nécessite parfois de réaménager des postes, par exemple avec des systèmes de butée de longueur
- Les solutions simples : tables de travail, chariots de manutention ou encore les manipulateurs de vitrages
Le top 3 de Hegla :
- Le Sorjet, le produit le plus demandé, est un système qui se substitue aux chariots sur lesquels on vient stocker du verre manuellement avant de les décharger sur la ligne du verre isolant
- Les tables de coupe pour le verre feuilleté, avec deux ponts automatisés. Connectées à un système de tri Sorjet, ces tables sont obligatoirement reliées à un système de déchargement automatique car un opérateur ne peut pas soulever la quantité de verre que la machine peut fournir
- Les solutions de gestion des chutes et des résiduels qui permettent de réduire les chutes, ce qui est bon pour la planète et pour les finances de l’entreprise
Le top 3 de Larenn :
- Le portique avec le palonnier à ventouses
- Les racks de stockage à rouleaux pour porter les panneaux. Il s’agit de racks de 3 m x 3 m qui servent à transporter les panneaux et les vitrages, placés verticalement dans des alvéoles. En bas de ces racks, des rouleaux permettent aux panneaux et aux vitrages de ressortir facilement. De ce fait, ces racks peuvent servir de stockage intermédiaires : on entre les panneaux d’un côté du rack : ils sont entreposés. Et de l’autre côté, alors que le rack est posté devant une première étape de production, on les ressort. Ce sont des racks tampons
- Le chariot à roulettes muni de protection. Pouvant être poussé à la main, c’est un article catalogue best-seller…
Faire coïncider le besoin et le budget
Pour répondre à la tendance de l’automatisation, les entreprises sont plus ou moins bien équipées, selon leur taille, la nature des produits qu’elles fabriquent et la conjoncture économique du moment. « Les grandes entreprises sont plus en pointe sur le sujet », soulignent Catherine Crestey et Alexandre Giraud. Mais tout dépend des capacités budgétaires dont elles disposent, chaque client ayant sa spécificité, ses dimensions d’atelier et sa procédure de fabrication. « Il n’y a pas de vérité absolue. Pour faire de la transitique, vous pouvez dépenser de 20 000 € à 1 M€. Dans le PVC, les gros faiseurs investissent car ils gèrent de plus en plus cette activité en ligne et font de plus en plus appel à la robotique. Le menuisier bois investit aussi dans tout ce qui est manutention. Les aluminiers sont peut-être un peu moins disants parce que l’aluminium est un peu plus compliqué à manutentionner : il requiert le contrôle visuel des opérateurs en raison d’un plus grand risque de détérioration. Le panier moyen d’investissement d’un menuisier est de l’ordre de 100 000 € à 150 000 €. À ce stade, il peut conjuguer des solutions automatiques et semi-automatiques », relève Alexandre Giraud.
Cependant, les investissements sont-ils plutôt élevés ou en ralentissement ? La tendance actuelle est tout de même à la précaution. Il y a énormément de demandes de matériel. Mais le choix ou la périodicité d’investissement est avant tout budgétaire. « Avec les replis de l’immobilier neuf, tant pour les particuliers que pour les bureaux, le marché de la menuiserie n’est pas très rassurant pour 2024 : tout le monde hésite à investir gros, sauf si c’est une première nécessité. Les projets d’amélioration dans les usines existent, mais les investissements budgétaires ne suivent pas forcément chaque année », résume le directeur commercial de Ryko France.
Process global et disponibilités budgétaires
Cependant, les industriels acceptent-ils bien les investissements liés au stockage et à la transitique ? « Ils ne sont plus à convaincre. La mécanisation et l’assistance aux mouvements sont bien rentrées dans les mœurs. Cela fait partie intégrante de la performance des entreprises dans le secteur de la menuiserie », fait remarquer Jean-Marc Boisson (MZR).
Ordonner le flux et mettre en ligne les ateliers s’inscrit souvent dans un process global à l’intérieur de l’entreprise. Il arrive que MZR livre des lignes complètes de fabrication. « Parfois, nous sommes face à des postes en ligne, mais qui ne sont pas intégrés dans un flux existant : nous devons les y adapter. Il arrive aussi que nous intervenions avec plusieurs fournisseurs pour répondre à une problématique. L’on nous demande souvent un travail coordonné entre fabricants de machines très spécifiques. Sur une ligne, vous allez trouver des postes de travail MZR, un poste automatique Corba-DGM. En amont, vous aurez une sertisseuse MTI. Et au bout du process, vous trouvez une emballeuse automatique conçue par un autre fournisseur. Et le tout doit fonctionner en ligne… », développe Jean-Marc Boisson.
Il arrive aussi que les budgets programmés en matière d’automatisation soient différés. Pour exemple, Ryko est en train d’équiper un gros faiseur : la société Millet. « Les budgets prévisionnels ont commencé à être établis à partir de 2021. Nous avons traité un premier tiers des investissements. Nous devions traiter la deuxième tranche cette année, mais elle est reportée à début 2024. Tout le monde veut automatiser et mettre de la transitique. Mais les budgets ne sont pas toujours disponibles en même temps. Et il faut aussi tenir compte des délais de livraison », modère Alexandre Giraud.
Innover pour convaincre
Pour séduire les entreprises, l’innovation reste la clé. MZR vient de sortir des buffers : de grands systèmes de stockage verticaux et multicases que l’entreprise vendéenne a motorisé. « L’opérateur peut facilement accéder à la case de son choix et la mettre en face de sa table de montage. Nous concevons aussi des tables de montage motorisées à déplacement latéral. Ainsi, l’opérateur peut facilement faire la jonction avec le poste suivant, d’une façon assistée, dans un flux en ligne », indique Jean-Marc Boisson.
© MZR - « En matière de solutions de stockage et de transitique, la menuiserie industrielle française est plutôt dans une meilleure situation aujourd’hui qu’elle ne l’a été par le passé. Le marché est tiré par de gros acteurs qui font maintenant office de leaders », analyse Jean-Marc Boisson, technico-commercial chez MZR. Ci-dessus, table de travail MZR (basculante monte et baisse adaptable) avec transitique
MZR a aussi imaginé des navettes logistiques à déplacement motorisé sur rails : elles permettent de faire du tri et du stockage au niveau de la logistique des produits. « Certes, ces produits sont déjà connus dans l’industrie. Sauf que nous partons d’un produit standard que l’on va motoriser et que l’on va personnaliser pour lui apporter une meilleure ergonomie. Nous adaptons les produits aux besoins du client en concevant une solution sur mesure. L’objectif est d’aboutir à des postes de travail dédiés au process unique de l’industriel, à l’image de l’un de nos best-seller en termes de ventes : les TMB – Tables de Montage Basculantes "monte et baisse" – avec une adaptation ergonomique en hauteur pour l’opérateur avec un plateau spécifique. Toute l’interface produit/client est personnalisée en fonction des opérations à mener », explique Jean-Marc Boisson.
Le directeur de la société Larenn pointe également l’utilisation de solutions existantes en les adaptant le plus possible aux besoins du client : « nous venons de répondre à une offre pour gérer des palettes de panneaux et de produits bois destinés à la fabrication de portes. L’ entreprise veut augmenter ses cadences sans accroître ses effectifs et nous demande une installation pour aider un seul opérateur au portage de planches pouvant peser jusqu’à 200 kg. En réponse, nous avons imaginé un portique de manutention qui mesure 12 m x 6 m et qui mixe l’acier et l’aluminium », illustre Didier Moiroud. « Cette structure se déplace à la fois au-dessus de la zone où sont déposées les palettes et à la verticale du premier poste de production équipé d’une scie radiale pour découper les panneaux et les planches à la bonne longueur. Nous allons fournir ce client d’un palonnier à tube qui fonctionne avec une turbine à air comprimé et permet de lever un préhenseur mousse qui adhère sur les planches, les soulève et les déplace à l’horizontale de la palette vers le convoyeur d’entrée de la scie. Sur les différents types de planches que doit prendre l’opérateur, il s’agit de lui donner la bonne fonctionnalité. Nous choisissons aussi des préhenseurs légers – soit 20 kg – facilement manipulables pour faciliter le travail de l’opérateur », conclut-il.
De l’automatisation à la robotisation
Pour sa part, Hegla dispose d’une table de coupe pour le verre feuilleté entièrement automatisée sans plus aucun opérateur. « Ce produit a été installé chez TIB voici deux ans », précise Daniel Kolopp, persuadé que nous nous dirigeons de plus en plus vers des usines entièrement automatisées. « En France, resteront trois à quatre acteurs verriers d’ici une vingtaine d’années, capables de produire du vitrage isolant (VI). La tendance a commencé il y a une dizaine d’années, mais nous passons un cap. Aujourd’hui, on peut se dispenser d’opérateurs sur les postes de travail, ce qui était encore impensable il y a 5 ans. Actuellement, on est capable de décharger un camion, de couper du verre et d’arriver sur la ligne de vitrage isolant sans qu’une seule personne ait touché le matériau. Il y aura toujours des chefs de lignes pour intervenir en cas de problème, mais plus d’opérateurs à manipuler ou à croquer du verre, ni à le positionner sur chevalets… ces opérations auront disparu », prédit-il.
© Hegla - Hegla a dernièrement automatisé entièrement – de la découpe à la livraison – une usine belge qui fabrique uniquement du verre simple (trempe, façonnage, perçage). Ci-dessus, le fameux ReMaster d’Hegla qui permet de stocker plusieurs résiduels dans un même casier...
Mais ne risque-t-on pas de mettre les hommes au chômage si les machines prennent leur place dans l’atelier ? Daniel Kolopp écarte cette hypothèse : « lorsqu’elles ont des augmentations de capacité, les sociétés ne recrutent pas : elles automatisent. Mais l’effectif salarié reste le même car les postes évoluent. Un opérateur va s’occuper de deux lignes au lieu d’une seule, avec pour avantage de ne plus toucher le verre. En revanche, il saura piloter la table, entrer les commandes, intervenir en cas de problème… Sa tâche deviendra un peu plus technique et polyvalente », conclut-il.
Photo ouverture © Hegla - Les solutions du concepteur-fabricant Hegla d’équipements verriers internationalement reconnus, répondent à toute taille de miroiterie et besoin, et notamment à la problématique de main-d’œuvre : les solutions de stockage et de transitique modernes élaborées par Hegla permettent d’épargner la pénibilité aux hommes – leur évitant de soulever entre 8 et 10 T de verre par jour – tout en renforçant la productivité