Depuis 25 ans, Art Graphique & Patrimoine a peu à peu numérisé l?essentiel de la cathédrale. Durant le week-end de Pâques, une « mission commando » leur a permis de numériser en urgence l?état du bâtiment.
Art Graphique & Patrimoine (AGP) est une entreprise inhabituelle. Elle a été créée à Joinville-le-Pont en 1994 par deux tailleurs de pierre, dont Gaël Hamon, le dirigeant actuel. AGP est spécialisée dans le relevé numérique du patrimoine historique, d’abord photogramétrique, puis au laser, et a peu à peu développé d’autres compétences, comme la réalité virtuelle ou la réalité augmenté.
Ce qui fait d’AGP, le leader du marché français et une entreprise sans concurrent global. Même si, activité par activité, AGP a des concurrents : les géomètres pour le relevé, des start-up pour la réalité virtuelle. AGP a développé sa première application de réalité virtuelle en 2009, avec le soutien du Pôle de Compétitivité Européen Cap Digital.
En 25 ans, une série de marchés portant sur différents éléments de la cathédrale, a permis à Art Graphique & Patrimoine (AGP) de numériser la majeure partie de Notre-Dame. © AGP
Une numérisation de la cathédrale commencée depuis 25 ans
Au lendemain de l’incendie de la Cathédrale, Gaël Hamon se reprochait de ne pas avoir numérisé toute la toiture de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. En effet, AGP numérise peu à la cathédrale depuis 25 ans, grâce à divers donneurs d’ordre comme la DRAC Île-de-France, les Architectes en Chef de la Cathédrale ou des entreprises.
AGP a commencé par le relevé photogramétrique du massif occidental (les deux beffrois), puis est passé à des relevés de détail : le buffet d’orgues, les arcs-boutants, les contreforts. En 2013, AGP a procédé à un relevé laser complet des deux beffrois avec Benjamin Mouton, alors Architecte en Chef de la cathédrale, pour préparer l’installation des cloches dans le beffroi sud.
En 2014, AGP a numérisé la flèche et tout le chevet pour Philippe Villeneuve, l’actuel Architecte en Chef de la cathédrale. Durant ces travaux, chaque jour, les équipes d’AGP prenaient un peu de leur temps pour numériser la charpente. Au matin du 16 Avril, les équipes d’AGP ont appris à Gaël Mouton que la numérisation de la charpente avait été faite.
Ils ont retrouvé les données et AGP, au grand soulagement de Gaël Hamon, a pu annoncer le 17 avril que l’ensemble des éléments disparus dans l’incendie avait été numérisé : toiture, flèche, charpente, chevet. Ce qui complète le travail de Rémi Fromon et Cédric Trentesaux qui avaient effectué un relevé détaillé des charpentes médiévales de Notre-Dame de Paris dans le cadre de leur DSA (Diplôme de Spécialisation et d’Approfondissement), mention architecture et patrimoine.
Le lendemain de l’incendie, Gaël Hamon, dirigeant d’AGP a appris qu’en 2014 ses équipes avaient entièrement numérisé le grand comble de la cathédrale, en profitant d’une intervention sur la flèche. © PP
En 2014, AGP avait été retenue pour numériser la flèche. Les équipes de l’entreprise en ont profité pour numériser aussi le chevet et la charpente. © AGP
Acquisition de données après l'incendie : 50 milliards de points récoltés !
Durant le week-end de Pâques, AGP a mobilisé 9 personnes, 10 scanners fixes Faro Focus S et deux drones pour une campagne complète d’acquisition de données photogramétriques et laser de l’état de la cathédrale après incendie. Cette campagne, à partir de 300 positions des lasers fixes et des prises de vues par drones, a récolté environ 50 milliards de points.
L’état actuel sera comparé avec les relevés antérieurs, permettant de vérifier avec une très grande exactitude quelles parties du bâtiment ont bougé et de quelle manière. Ce qui servira à la définition de la stratégie de consolidation et de protection dès maintenant, puis à la planification des travaux de restauration.
L’analyse des données est en cours en ce moment. AGP, qui conserve toutes les données chez elle et ne pratique pas de calculs dans le Cloud pour éviter tout risque de piratage, a dû s’acheter un nouveau serveur embarquant 16 disques de 14 To chacun, soit 224 To, pour accélérer le calcul. Comme le dit Gaël Hamon, un relevé classique peut être suivi d’une à deux semaines pour l’assemblage des données en une image cohérente et fiable. Dans le cas de Notre-Dame, ce travail doit être effectué de manière urgente et AGP travaille 7 jours sur 7.
Le samedi 20 Avril, AGP a numérisé en urgence l’état du bâtiment après incendie. © FARO
Des relevés d’une précision inférieure au millimètre
AGP numérise depuis 1994 en photogramétrie, en lasergramétrie depuis 1997, d’abord avec du matériel Trimble, puis avec des scanners lasers fixes de Faro depuis 2000. L’entreprise en possède une dizaine aujourd’hui. Le laser est réservé aux configurations où ne pose fixes et très stable est possible.
Les scanners laser sont des instruments de mesure, régulièrement étalonnés. Ils génèrent des relevés d’une précision inférieure au millimètre. Mais il faut plusieurs minutes pour l’acquisition des données, durant lesquels le scaner ne doit absolument pas bouger. Le relevé photogramétrique se prête mieux aux zones inaccessibles, sauf par drone. Sa précision est un rapport entre la surface photographiée et la résolution du capteur de l’appareil.
Par exemple, 40 millions de pixels pour une surface photographiée de 2 m² produit une précision inférieure au millimètre. Un relevé photométrique est toujours accompagné de l’indication d’une échelle 1 pixel = 0,1 mm, par exemple, et de la profondeur de champ.
Des fichiers AutoCAD et Revit
Pour travailler les données récoltées, AGP utilise les logiciels de Faro, dont Faro AS-Built qui convertit les données en fichiers AutoCad ou Revit, Faro VirtuSur qui génère rapidement des vues panoramiques. AGP travaille avec AutoCad depuis la version 11 sur MS-Dos, a écrit toutes une série de scripts pour AutoCad qui, dans l’expérience d’AGP, constitue une sorte de standard pour la réalisation de plans et dessins en 2D.
Utilisant les formats DXF et DWG, AGP n’a pas encore rencontré de logiciel incompatible chez ses clients. Pour la 3D et le BIM, AGP est passé à Revit, dont le format natif et le format de fichiers .IFC permettent aussi tous les échanges avec d’autres applications BIM.
Si la notoriété d’AGP auprès du grand public a fait un bond depuis l’incendie de Notre-Dame, l’entreprise était déjà bien connue des milieux professionnels du patrimoine historique. Depuis sa création, elle a numérisé plus de 2000 bâtiments dans 18 pays différents.
Source : batirama.com / Pascal Poggi